Non ce n’était pas le radeau

 

 

Pas de joutes nautiques sans barques, c’est une évidence !
Mais quelles barques ? Et pourquoi ont-elles cette forme-là ?
« En Avant partout » vous apporte les réponses.

 

C’est très certainement en 1270
que se déroulent les premières
joutes nautiques dans
les eaux languedociennes. Mais pas à
Sète, ni à Agde, ni à Frontignan qui
se disputent encore aujourd’hui le
titre de capitale historique, mais à…
Aigues-Mortes. Il semble en effet que
c’est dans le port de la cité médiévale
gardoise que des Croisés, dans l’attente
du départ pour la Terre Sainte,
ont l’idée de se défier amicalement,
mais armes à la main toutefois, sur
des chaloupes servant normalement
pour le transbordement des marchandises
vers les navires de haute
mer.
Autres temps, autres moeurs… Les
embarcations utilisées vont varier
selon les lieux et les époques. C’est
ainsi que l’on peut voir sur une carte
postale du début du XXème siècle
qu’à Palavas les jouteurs prennent
place sur des barques « à fond plat »,
type nacelles, tandis qu’on préfère
ailleurs des coques plus creuses, de
forme semblable à celles des bateaux
de pêche d’alors. A Agde en 1953, la
société locale achète pour sa part
aux Messageries Maritimes de Marseille
deux anciens… canots de sauvetage
du paquebot « Ville d’Amiens » !
Même si les Agathois jouent encore
la carte de l’originalité en s’équipant
vingt ans plus tard de nouvelles embarcations
de survie, venues cette
fois d’Italie, les barques de joutes vont
tendre à s’uniformiser. Au point d’être
aujourd’hui construites selon deux
« modèles ». Celui du Mézois Robert
Lunadier et celui des ateliers municipaux
de Sète.
Sétoises
contre Mézoises
Légères, effilées, d’une longueur
de 8 mètres, d’une largeur
de 2,6m au maître bau
et d’un « creux » de 0,8m, les
barques mézoises et leurs
huit rameurs vont rapidement
séduire les sociétés possédant
des sites peu profonds et étroits. Ce
qui est le cas de la Nouvelle Lance
et de la Jeune Lance Sportive Mézoize
bien entendu, mais aussi de la
Société de Jouteurs Balarucois, de
la Lance Sportive Palavasienne, de
l’Association des Jouteurs Biterrois
(aujourd’hui disparue) et même de
l’Avenir des Jouteurs Sétois qui dispute
ses tournois dans le cadre très
particulier du quartier des Quilles.
Les « Sétoises » (également adoptées
par Agde), aussi longues que les
premières, mais plus larges (2,9m au
maître-bau), et au tirant d’eau légèrement
supérieur (0,9m), s’en différencient
surtout par les dix rameurs qui
les propulsent.
« Mézoises » ou « sétoises », les
barques de joutes d’aujourd’hui sont,
les unes comme les autres, les héritières
des « mourres de porc », ces
barques de pêche traditionnelles
utilisées jusqu’à la Seconde Guerre
mondiale dans les eaux languedociennes.
Le seul changement apporté
est en fait à l’arrière du bateau où un
« cul », plus carré, permet de supporter
la charge des bigues et de la tintaine.
(A suivre…)

 

Après la forme des barques, « En Avant partout » rentre aujourd’hui
dans le détail. Bigues, tintaine, couleurs, noms…

Constituées de deux montant
de bois séparés d’un mètre
et reliés par des traverses
(comme une sorte d’échelle) qui
servent à la fois de raidisseurs, de
barreaux pour accéder au plancher
et de sièges pour les jouteurs attendant
leur tour, les bigues mesurent
8,25m de long. Normalement, leur
angle d’inclinaison permet grosso
modo au jouteur juché sur la
tintaine, ce plancher incliné de 1,90
sur 1m et terminé à l’avant comme à
l’arrière par un relevé de 20 cm de
hauteur facilitant le « calage », de se
retrouver à trois mètres au-dessus
du niveau de l’eau !
Mais attention, la physique reprenant
ses droits, le nombre (et donc
le poids) de jouteurs sur les bigues
peut faire diminuer cette hauteur et
surtout la rendre différente d’une
barque à l’autre. Le concurrent le «
plus bas » sur l’eau étant plus difficilement
déracinable, on entend parfois
le jury demander aux jouteurs en
attente, de monter ou descendre sur
les bigues pour rétablir l’équité.
L’aspect « matériel » des barques venant
d’être décortiqué, reste maintenant
à s’intéresser à leur décoration.
Et en premier lieu à leur couleur. Un
autre héritage du passé puisqu’au
XVIIème siècle, les tournois opposaient
l’« équipe » des célibataires,
dont la couleur était le bleu, aux mariés
qui se distinguaient par le rouge
de leurs lances et de leur pavois, mais
aussi de leurs habits et… de la barque
sur laquelle ils prenaient place. Si les
tournois sont devenus individuels à
partir de 1846, les barques n’en ont
pas moins conservé leur bleu et leur
rouge « d’origine ». Seules modifications,
les véritables draperies de
couleur, encore utilisées au début du
XXème siècle, ont été remplacées
par des peintures en trompe-l’oeil sur
les coques blanches.
Autres ornements distinctifs de ces
barques : le nom (ou les initiales) de
la société, ainsi que ses armoiries,
mais aussi le nom des barques ellesmêmes.
Celles utilisées pour la Saint-
Louis, propriétés de la ville de Sète,
ont été baptisées « la Poncha » (la
Pointe-Courte) et « Lo Quartier naut »
(le Quartier haut), en hommage
aux deux quartiers de pêcheurs qui
avaient pris l’habitude de se défier
après les oppositions entre célibataires
et mariés. Des dénominations
auxquels les Sétois sont toujours très
attachés. La preuve en 2012 quand
« la Poncha » et « Lo Quartier Naut »,
qui avaient besoin d’être remises en
état, avaient été remplacées par les
barques de l’Amicale des Pêcheurs
Sète-Môle. Pour calmer le vent de
révolte qui s’était mis alors à souffler
en « Île singulière », la municipalité
avait été obligée ni plus ni moins que
de rebaptiser les embarcations de
substitution le temps des festivités
de la Saint-Louis !